Le Parquet national antiterroriste de Paris a ouvert depuis le 2 janvier 2020 une information judiciaire contre Sieur Roger Lumbala. L’intéressé a été mis sous examen et en détention provisoire pour complicité de crimes contre l’humanité commis entre juillet 2002 et janvier 2003 sur le territoire congolais dans le cadre d’une opération militaire dite « Effacer le tableau ».
Pendant que s’emballe la toile sur ce sujet d’actualité, la bonne question que tout congolais sensé doit se poser est la suivante : “Pourquoi seulement maintenant?”
La première hypothèse qui nous vient à l’esprit c’est de penser que c’est bien là le début d’aboutissement du combat pour le respect du Rapport Mapping mené tambour battant par la résistance congolaise en tête de laquelle il faut avoir l’honnêteté de nommer le docteur Denis Mukwege qui en a fait son principal cheval de bataille.
Mais personnellement je ne pense pas que ce soit la bonne et unique explication d’autant plus que dans son point de presse du 5 octobre 2020, la diplomatie française avait été on ne peut plus claire sur son désengagement quant aux crimes commis au Congo : “S’agissant du « Rapport Mapping » des Nations unies concernant les graves violations des droits de l’Homme commises en République démocratique du Congo entre 1993 et 2003, il appartient aux autorités congolaises de se prononcer sur les suites qu’elles entendent y donner.” Il faut donc regarder ailleurs pour comprendre les ressorts secrets du brusque changement à cent quatre-vingt-dix degrés de la position française.
Pourquoi seulement maintenant? Une question qui vaut la peine d’être posée quand l’on sait que Roger Lumbala vit à Paris depuis des années et que la France était au courant de ses forfaits criminels depuis la publication en 2010 du Rapport Mapping qui cite nommément Roger Lumbala à la page 232 et dont le quotidien français Le Monde avait justement fuité le contenu original. Depuis une décennie, aucune réaction concrète du Quai d’Orsay ni d’autres institutions de l’Hexagone.
De là à déduire que si la France a décidé d’activer son dossier judiciaire maintenant, ce n’est sûrement pas en vue d’arracher la palme de championne de la défense de la cause des victimes congolaises en traduisant devant les cours et tribunaux, les crimes listés dans ce rapport de l’ONU. Raisonner de la sorte, c’est fermer les yeux sur la vérité de motivations profondes qui ont poussé la France à envahir la Libye de Kadhafi sous le fallacieux prétexte de défendre des populations livrées à la violence de son dictateur alors qu’en réalité la France n’avait d’yeux que pour les gisements pétroliers de ce pays.
Pour une analyse plus dépassionnée, il faille chercher ailleurs les explications du dossier judiciaire Lumbala. Des considérations politiques et économiques peuvent bien venir activer ce brusque zèle français pour prétendre brusquement vouloir défendre la justice…
Car, rappelons-nous, au plus fort du combat de l’opposition contre le glissement de Kabila, l’opinion congolaise n’avait cessé d’être étonnée par le soutien public d’Emmanuel Macron à Joseph Kabila pourtant très isolé de la scène politique internationale. Le président français continuait à recevoir des mandataires de Kabila à l’Elysée et à lui envoyer des émissaires pour maintenir un contact régulier.
D’autre part Roger Lumbala qui vient d’être mis sous examen judiciaire était devenu une des figures de proue de l’UDPS à Paris. Il a excellé depuis l’été dernier dans son soutien tous azimuts à la présidence de Félix Tshisekedi et tout récemment à l’initiative présidentielle des consultations nationales allant jusqu’à mettre en place « Une Base de l’Ensemble” qui se veut une plate-forme politique pour défendre le pouvoir de Fatshi.
L’ouverture d’un dossier judiciaire contre lui peut être un indice sérieux de la France qui cherche à couper l’herbe sous les pieds du président Félix-Antoine Tshisekedi en vue de ralentir les risques d’une chute précipitée de Kabila, celui-là même avec qui beaucoup d’accords économiques étaient négociés dans les secrets d’alcôves et dont elle espère le retour au trône pour une meilleure sauvegarde de ses intérêts géostratégiques et géo-économiques. Et si mes lecteurs se disent mais après tout la France peut tabler sur Tshisekedi pour la continuité de ces accords, les lignes suivantes peuvent leur donner plus de lumière.
Il ne faut point ausculter par ailleurs les nombreux hauts faits d’une campagne de dénigrement menée par les officiels français contre Tshisekedi depuis 2019 ni négliger le flair diplomatique de la France sur l’activisme illimité de l’ambassadeur américain basé à Kinshasa et sur le parti-pris de ce dernier pour Tshisekedi contre Kabila. La France qui est en train de perdre son precarré africain notamment d’abord au Rwanda puis depuis un temps au Mali, au Niger et tout récemment à la voisine République de Centr’Afrique contre les russes voit d’un très mauvais œil le basculement presque complet du contrôle des richesses congolaises en faveur de son éternel concurrent de l’OTAN en RDC depuis la guerre de l’AFDL. Elle refuse de se voir remplacer par les USA et de perdre la main sur les gros contrats signés avec Kabila en 2018, notamment celui de Themis et de l’exploitation des gisements pétroliers par TOTAL dans la partie ouest du Lac Édouard.
Dans un tel contexte de guerre à basse intensité entre les puissances occidentales sur le gâteau congolais, Roger Lumbala a pu être pris pour le fusible idéal. En ouvrant une information judiciaire sur lui, la France croit en tirer une double victoire.
Primo l’affaiblissement et la décrédibilisation du camp de l’Union Sacrée que l’opinion peut désormais juger comme un nouveau nid de blanchiment des seigneurs de guerre tels que Lumbala, Bemba et Katanga accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. La France ouvre volontairement la boîte de Pandore de l’union sacrée pour que le monde entier voie la pourriture de son contenu et amorce au sens propre un processus de sa décrédibilisation qui laisse une petite marge de manœuvre politique pour son allié congolais.
Secundo, dans les coulisses du jeu diplomatique mondial, la politique française pourra espérer mettre la pression sur cette puissance occidentale qui avait armé via le Rwanda, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie-aile Nationale (RCD-N) de Roger Lumbala entre 2002 – 2003 et qui avait érigé en janvier 2013 ce même Lumbala comme chef adjoint de la délégation du M23 aux négociations avec le gouvernement congolais à Bunagana.
Par crainte de voir le boa éventré durant le probable procès de Lumbala et de laisser le magistrat instructeur français étaler sur la place publique de nombreux secrets trop sensibles sur les auteurs intellectuels des carnages de Lumbala, cette puissance pourra bien se sentir dans l’obligation de négocier avec la France, si pas dans le partage du juteux marché des richesses naturelles congolaises du moins dans la sauvegarde des avantages déjà acquis sous la présidence de Kabila, en échange d’un non-lieu à l’issue de l’enquête judiciaire.
Évitons donc d’applaudir trop tôt à la victoire du droit dans cette énième mise en scène judiciaire. L’on sait comment ça a fini avec l’acquittement “miraculeux “ de Jean- Pierre Bemba et de Germain Katanga eux aussi cités comme criminels dans le Rapport Mapping.
La véritable justice sur les crimes commis sur le Congo et sur son peuple adviendra si et seulement si les congolais obtenaient l’érection d’un Tribunal Pénal International Spécial pour la Rd Congo où la moitié des juges seraient des juges congolais prêts à défendre les droits bafoués et violés de ce peuple martyre. Faut-il encore que ces mêmes congolais se libèrent d’abord de cette mentalité pathologique de confier aux autres pays la gestion de leurs propres problèmes internes!
G.N