Quelques heures après l’annonce du décès de King Kester, un de ses chanteurs passe à la télé… Anéanti, disloqué, il n’arrive pas à parler, l’intervieweur compatit… Akotisi esprit, puis il se met en mode Kester, le chanteur déforme son visage comme s’il avait soudain respiré une odeur nauséabonde, et déclare, l’index lancé en avant: «Ah, perpendiculaire a Daihasthu, dis! Vietnam a Diesel! Mawampanga, e Swaziland biscotte Toulouse!» Traduction: Ah, père adayé, dis! Vieux akeyi! Mawa mingi, esui biso tout!
Bon Dieu, c’est quelle langue ça! Le «langila»… Pour le comprendre, il faut au départ maîtriser l’«hindoubil», la langue de mauvais garçons des quartiers populaires de Léopoldville (Texas, Dallas, Santa Fe, Casamar, Far West, Quartier Indien, …), à partir du milieu des années 1960… Une jeunesse laissée pour compte, marginalisée, laquelle joue les caïds en se croyant à l’Ouest de Pecos… En effet, ces jeunes sont influencés par le boom des westerns dans la capitale de l’ex-Congo belge… Ils se surnomment Buffalo Bill, Sheriff, Django, Lancaster, John Wayne, bref ils s’approprient les noms des héros de ces films… On les appelle les Bill, immortalisés dans «Ba Bill oyé» de l’African Fiesta, dans «Porozanga» du Trio Madjesi… «Puisque vous nous avez rejetés, nous parlerons notre langue à nous!» Code secret d’identification, l’«hindoubil» est né, et emprunte beaucoup à l’anglais américain, «yanké» à partir de Yankee, «dayer» à partir de to die, «mista» à partir de mister, «yuma», déformation du nom d’un personnage faible d’esprit, amorphe d’un western, … L’«hindoubil» est aujourd’hui l’un des greniers du lingala parlé aujourd’hui à Kin…
Le «Langila» serait donc une variante de l’«hindoubil», enrichie des mots et noms d’aujourd’hui… Kester qui en a fait son mode d’expression, avoue ne l’avoir pas inventé… A son arrivée dans Viva trois mois après sa création (il trouve dans la section chant Bipoli, Jadot, Djengaka et Petit Aziza), il fait attention à la manière de parler du drummeur du groupe, Otis Koyongonda dit Moto na libandi… Il ne désigne jamais une chose par son nom; ainsi, après les répétitions, quand Koyongonda va prendre les frais de transport pour rentrer chez lui à Bandal, il dit ceci: «Nadié kozua Mongoluala!» Puis ce langage va évoluer, se complexifier, et Kester, doté d’un grand sens du récit et de l’humour, va l’enrichir… Quand il y a des personnes étrangères au groupe, il dira soupçon pour soupe, sukaïna pour suka…
En règle générale, pour comprendre le «langila», il faut se concentrer sur les préfixes avant tout… Morceaux choisis du «Langila» sans peine!
- Yolo na Ngaliema Tobetazol Damas na Palestine (Yo na nga tokende kolia na ndaku)… Wana ata Congolais ya diaspora ako corriger yo: « Oh, Damas ezaka na Syrie!»
- Petrus Kimbuta Yango tailor Vandame (Petite ango taille evanda)
- Vietnam Azarias na keren ya ba Petrus na yokozuna (Vieux aza na mitema ya petits na yo) Tala na Ministère ya Décentralisation, mutu azotuna: «Bobengi nga?»
Pour le reste, veuillez contacter Roger Kibansa Suang dit Mpwasa, et Pepeco Pathou Kinzala Nkuka alias Kinzala Vrai Kinois, ba petrus na Ngaliema, plere Jacques Somo West! Qui sait si, en 2045, le «langila» serait adopté par le plus grand nombre au pays? Le français qu’on parle aujourd’hui était l’«hindoubil» du latin, la langue des barbares… Et le créole, la langue des esclaves dans les Antilles françaises; aujourd’hui tout un ensemble de peuples le parle, le chante… «Kozala reté! Reté!!»
De tous temps, ici comme ailleurs, du choc des classes, du conflit entre la culture élitiste et la culture populaire (les élites veulent que tout leur ressemble, excluent les anticonformistes et s’accaparent des médias, et paradoxalement attendent d’eux qu’ils posent des actes de citoyenneté notamment à travers le vote!), de cet antagonisme naît souvent une nouvelle langue! Bon, Moleka Nzulama, Lobilo!
© D.M.