“Colonel Eddy Kapend à la barre! Déclaré coupable d’attentat à la vie du chef de l’état, il n’a été retenu aucune circonstance atténuante à sa faveur et a été requise la peine capitale pour cette infraction. La Cour réclame son arrestation immédiate “, c’est sous cette formule laconique qu’est prononcée la sentence contre Eddy Kapend par le Procureur de la Cour d’Ordre militaire. Le concerné qui venait de suivre attentivement la lecture du verdict amorce solennellement un salut militaire aux membres du jury en signe de soumission à la sentence. Deux autres militaires se ruèrent alors sur lui pour dépouiller de ses insignes, ce colonel que nous avions tous vu prendre en main son courage pour passer à la télévision nationale et appeler au calme les forces armées et la population civile au lendemain de l’assassinat de Mzee Kabila.
Mais dans toute cette scène tragique qui se déroulait à la COM, c’est le regard dans le VIDE du colonel Eddy Kapend en ce jour de janvier 2003 qui frappera profondément et pour toujours ma mémoire, me laissant avec beaucoup d’interrogations sans réponse. Pendant que les autres militaires étaient chargés de lui ôter ses galons, je me demandais sérieusement à quoi pensait l’illustre condamné à cet instant précis. Par après, au fil des ans, en rassemblant les pièces du puzzle, je m’étais fait ma petite idée là-dessus.
Tenez! Le fait de côtoyer les grands de ce monde, de travailler à leurs côtés et sous leurs ordres est une véritable gageure. Car lorsqu’ils sont menacés de déchéance pour une faute lourde commise par eux, leurs subalternes sont les premiers à en payer le prix fort en portant la condamnation sur leurs épaules et en assumant à leur place, la responsabilité de l’opprobre en vue de pouvoir sauvegarder la pérennité de leur pouvoir.
Ce jour-là, le procureur Alamba et les autres juges de la Cour d’Ordre militaire savaient très bien que tous les condamnés dont Eddy Kapend furent de simples substituts des veritables agents de cette tragédie mais curieusement ils se montraient tous visiblement impuissants de remonter la chaîne de commandement pour enfin oser lever leur petit doigt vers le puissant commanditaire, vers l’auteur intellectuel de ce crime crapuleux.
Pour reprendre le mot d’un des témoins des événements, Abdoulaye Yerodia dans son interview accordée au journaliste Arnaud Zajtman ( Meurtre à Kinshasa) sur le sort des condamnés à mort de l’assassinat de Mzee, « ils ont été, confie-t-il, condamnés à la potence comme des “solutions de rechange” à défaut de ne pouvoir ni vouloir nommer les vrais assassins ». Ils ont servi des boucs-émissaires chargés d’expier un crime qu’ils n’ont pas commis. Beaucoup parmi ces prisonniers périront dans la maison carcérale et leurs familles resteront abandonnées à jamais à leur triste sort.
Et ça ce n’est ni le premier ni le dernier cas de figure de cette justice expéditive dans ce pays. Ouvrez bien vos yeux… Ça s’est passé et continue de se passer maintes fois de la sorte en RDC. Hier comme aujourd’hui. Avec le PM Patrice-Emery Lumumba (1960); avec le PM Evariste Kimba et les martyrs de la Pentecôte (1966); avec Kudia Kubanza (1971); avec le major Kalume et les présumés auteurs du faux coup d’état (1978); avec l’assassinat de Mzee Kabila (2001) et la condamnation à la peine capitale de Kapend et compagnons (2003) jusqu’aux plus récents événements rdciens qui démontrent que la justice dans ce pays est instrumentalisée par l’homme fort du moment et refuse de dire le droit en toute impartialité.
Si la nouvelle de sa libération le mercredi 6 janvier 2021 , je suis content de voir Eddy Kapend et compagnons sortir librement de la prison Makala où ils ont été reclus pendant 17 ans. Je ne sais dire à l’étape actuelle s’ils ont été libérés suite à leur innocence avérée ou suite au comportement exemplaire affiché en prison pendant leur incarcération. Quoi qu’il en soit, avouons que c’est là un grand pas dans la quête de la vérité historique pour identifier au final qui a tué Mzee Kabila. Car à ce que je sache, les criminels courent encore librement nos rues congolaises.
Pour tout dire, cette justice à géométrie variable et son impunité vis-à-vis de cette nouvelle « oligarchie » en place au pouvoir constituent l’obstacle majeur à l’instauration de l’état de droit, transformant un peu plus la RDC en un empire du crime permanent.
S’il faut vouloir naviguer à contre-courant, la libération d’Eddy Kapend doit aller de pair avec la volonté de l’autorité judiciaire congolaise de remonter jusqu’au vrai auteur de ce meurtre! Et justement le nouvel amnistié et compagnons forment une précieuse mine d’informations quant à ce. C’est la seule voie pour combattre l’impunité et pour décourager d’autres candidats assassins à la triste entreprise du crime en RDC.
Pour finir, un tout petit et dernier conseil : le Maître d’échiquier ou le commanditaire du chaos organisé en RDC étant le même en janvier 2001 et en janvier 2021, il revient à Eddy Kapend de comprendre qu’en politique il n’y a rien pour rien (même concernant ce “cadeau” d’amnitie) et, par voie de conséquence, d’éviter d’être réutilisé comme un objet d’échange dans un combat des grands dont les enjeux dépassent bien souvent son entendement.
G.N